Scandaleuse justice – Affaire Centrale paysanne

Scandaleuse justice – Affaire Centrale paysanne

19 avril 2018 Non Par Me Gaston Vogel

La Chambre correctionnelle de Luxembourg rendit le 10 mai 1994 sous le numéro 877/94, un jugement de condamnation contre B. et E.

B. fut condamné à cinq ans de prison et à une amende de 200.000 Flux –                        E., mêmes peines.

Ce jugement entrera dans les annales judiciaires (sous la désignation « Affaire Centrale paysanne ») comme l’un des plus répugnants scandales de la justice grand-ducale.

Un hasard étrange sur lequel il n’y a pas lieu de revenir avait amené l’auteur à saisir dans le cours du délai d’appel et plus précisément le 8 juillet 1994, plusieurs autorités d’une lettre dans laquelle il dénonçait le fait que, suivant renseignements précis obtenus, l’officier de police judiciaire qui avait déposé tout au long d’un nombre délirant d’audiences comme témoin à charge, entretiendrait une liaison avec la Présidente du siège.

Si ce fait était avéré, le tribunal aurait commis plusieurs impairs gravissimes à savoir la violation du principe sacro-saint de l’impartialité et une atteinte inouïe aux droits de la défense.

Un avocat conscient de cela n’avait pas de choix. Il se devait d’agir, fût-il simple témoin du scandale.

La suite montrera qu’il avait raison.

A peine cette plainte fut-elle déposée, que les attaques fusaient de toutes parts. Le ci-devant Procureur Général d’Etat WAMPACH, bien loin de s’occuper de la triste réalité judiciaire qui venait de lui être dénoncée, saisissait le Bâtonnier d’une plainte pour « détournement de consultation ».

Dieu seul sait ce que cela pouvait signifier.

La presse à son tour se déchaînait contre l’auteur.

Le 13 juillet 1994, un des scribouillards écrivait à son adresse :

« Die Urheber sollten zum « Vull fiir d’Kaatz » zusammengestaucht werden. »

Durant deux longues années, il était seul. Le Conseil de l’Ordre ne  lui était d’aucun secours. Bien au contraire ! Faut-il s’en étonner ?

Il avait des convulsions de dégoût devant tant de laisser-aller, de lâcheté intellectuelle et de sottises.

Il ne pouvait pas savoir que durant tous ces longs mois, le successeur de WAMPACH à la tête du Parquet Général, Alphonse SPIELMANN, allait en silence, mais avec une remarquable ténacité, au fond des choses et finissait par confirmer par confirmer nos doléances.

Il allait saisir la Cour d’appel d’un réquisitoire en règle qui devait aboutir sans débats majeurs à l’arrêt du 4 juin 1996, annulant le jugement du 10 mai 1994 ainsi que l’instruction qui l’avait précédé. L’Etat fut condamné aux frais de l’instance d’appel ainsi que de ceux de l’instruction et de la décision annulée.

Cet arrêt est d’une teneur si réservée qu’on peut dire qu’il fut rendu par la Cour à l’insu de son plein gré. Ainsi va la solidarité entre magistrats. Les choses étaient pourtant si claires qu’aucun autre arrêt n’aurait pu être rendu.

Ecoutons les conseillers de la Cour dans la composition Marc SCHLUNGS, Arnold WAGNER et Julien LUCAS et remarquons le curieux style dans lequel les attendus sont conçus et prononcés mezzo voce :

« Dès l’ingrès d’instance, après la constatation de l’identité des prévenus à qui connaissance a été donnée des actes d’appel qui ont saisi la Cour, le représentant du Ministère Public a requis l’annulation de la décision entreprise en invoquant une violation de l’article 6, 1° de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et a demandé le renvoi de l’affaire devant la Chambre correctionnelle du Tribunal d’Arrondissement de Luxembourg autrement composée.

» A l’appui de ces conclusions Monsieur l’avocat général se réfère à des renseignements recueillis lors d’une enquête administrative menée par ses propres soins en exécution de l’article 72 de la loi sur l’organisation judiciaire ainsi qu’au résultat se dégageant conjointement d’un contrôle de télécommunications et d’une commission rogatoire internationale effectuée dans le cadre d’une information judiciaire d’après laquelle il existe des présomptions que durant la période où l’affaire faisant l’objet du présent appel se trouvait en délibéré, un témoin à charge a eu avec un magistrat de la Chambre correctionnelle concernée cinq entretiens téléphoniques chacun d’une durée moyenne de plus d’un quart d’heure.

»Il estime que si les révélations ainsi obtenues ne sont pas la preuve d’éléments ayant influé sur la formation de l’opinion des juges, elles peuvent toutefois constituer des indices objectifs susceptibles de porter atteinte à l’impression d’impartialité que doit fournir toute juridiction.

»Les mandataires des prévenus concluent dans le même sens.

»D’après l’article 6, 1° de la Convention susmentionnée toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial qui décidera du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

»La Cour Européenne des Droits de l’Homme a décidé que cette protection doit avant tout s’apprécier selon une démarche objective consistant à s’assurer qu’il y ait des garanties suffisantes pour que cela soit exclu à cet égard tout doute légitime quant à l’intégrité des tribunaux, c’est-à-dire, la confiance qu’ils doivent inspirer au justiciable ne doit d’aucune manière être ternie par quelque donnée factuelle que ce soit.

»Il se dégage des conclusions de Monsieur l’avocat général qu’à ses yeux les circonstances dans lesquelles le présent procès s’est déroulé en première instance sont telles que l’apparence d’impartialité n’était plus préservée.

»La mission du Ministère Public auprès des juridictions répressives est essentiellement celle d’intenter l’action publique et d’en assumer l’exercice ; il lui incombe également de suivre la bonne marche des affaires judiciaires, d’y représenter les intérêts généraux de la société et de veiller à l’observation des lois qui concernent l’ordre public.

»Or, en l’espèce le Parquet général est d’avis qu’il y a eu manquement à l’exigence d’impartialité telle que définie à l’article 6, 1° de la Convention des Droits de l’Homme et qu’il y a lieu à annulation de la décision entreprise pour réparer les torts ainsi créés.

»Si donc dans l’opinion de la partie publique il y a eu atteinte à l’administration correcte de la justice, il est de présomption qu’un doute légitime identique et même renforcé doit à la suite de cette prise de position s’installer dans la perception des prévenus de la procédure qui leur a été faite.

»Le jugement du 10 mai 1994 est partant à mettre à néant comme ayant été pris en violation de l’article 6, 1° de la Convention du 4 novembre 1950 susmentionnée. Il en est de même de l’ensemble des actes d’instruction accomplis par le Tribunal d’Arrondissement à la suite de la citation des prévenus B. et E. consécutive au renvoi devant la Chambre correctionnelle de cette même juridiction.

»L’article 2 du Protocole additionnel n° 7 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales dispose que toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation.

»Comme en l’espèce, toute instruction menée devant la Chambre correctionnelle de première instance est à invalider, l’évocation telle que prévue à l’article 215 du Code d’Instruction Criminelle reviendrait à priver les justiciables du double degré de juridiction consacré par la disposition de droit international citée à l’alinéa précédent.

» PAR CES MOTIFS

la Cour d’appel, cinquième chambre, siégeant en matière correctionnelle, statuant contradictoirement, les prévenus entendus en leurs explications et moyens de défense et le représentant du Ministère Public en son réquisitoire,

reçoit les appels en la forme ; les dit fondés ;

annule le jugement du 10 mai 1994 ainsi que l’instruction qui l’a précédé jusqu’y non compris les citations du 12 novembre 1993 ;

laisse à charge de l’Etat les frais de la présente instance ainsi que ceux de l’instruction et de la décision annulées, ceux ayant précédé restant réservés.

Cet arrêt qui aurait dû être salué par la presse entière comme une victoire sur   « le front » des Droits de l’Homme, connut une singulière réaction de la part de certains médias qui semblaient frustrés de ne pas voir menotter des citoyens qu’ils détestaient pour d’obscures raisons politiques ou autres.

Une hargne, rogne et grogne baignant dans un flot d’insultes allaient inspirer certains journalistes.

Plutôt une condamnation solide, obtenue en violation des règles impératives régissant les Droits de l’Homme et la procédure pénale, qu’une décision respectueuse des droits annulant ainsi toutes leurs espérances « pénitentiaires » ! Tel fut le pénible lapsus qui se dégageait de leurs commentaires écrits.

Comment faut-il qualifier une telle mentalité ? Une simple horreur, d’autant plus horripilante, si elle émane de prétendus démocrates prônant la liberté et le respect de la personne humaine.

L’un deux écrivait dans un langage propre au jargon nazi :

« es ging schließlich auch um schänterlich in aller Öffentlichkeit gewaschene schmutzige Wäsche, um Denunziantum auf niedrigstem Niveau (sic la journaille) Wobei sich wiederum zeigte, daß nicht nur ein komischer, sondern ein missratener, minderwertiger und schurkischer « Vull » ist, der das eigene Nest besudelt ».

Un oiseau qui s’honore ne va pas nicher au Palais de Thémis.

Que fit le Pouvoir Judiciaire suite à cette chienlit ?

Il réservait à la Présidente « annulée » une belle promotion : Elle fut élue conseillère à la Cour d’appel. Merveilleuse justice !

 

Dans la tourmente judiciaire de 1962 à ce jour – Me Vogel – éditions Binsfeld

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